Dans la peau de… S01E02 « Anthony »

12 Juil

Précédemment dans Dans la peau de…

Florence part à Calais et commence une nouvelle vie : petits boulots, intérim, CDD… C’est un quotidien très précaire qu’elle met en lumière en donnant la parole aux sans voix. Elle aurait très bien pu rencontrer Anthony…

Moi, Anthony, ouvrier d’aujourd’hui

Tout comme Florence à sa façon, Anthony a des supers pouvoirs : c’est un homme invisible. Son invisibilité est bien différente de celle que l’on connaît au travers des fictions comme celles de H.G. Wells. Plus âpre, elle fait moins rêver. Mais qui est-il alors ?

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Commençons par le début : Anthony est jeune, il a 27 ans, vit près de Lyon, et comme il aime à le rappeler, ce n’est pas un  » kassos « . Seulement, mal orienté au lycée, découragé, il décroche et fini par arrêter les études à l’âge de 16 ans alors qu’il est en 2nde .

 » Il paraît que je suis dans les 10% de jeunes qui ont tout lâché *. Évidemment, je regrette maintenant, car je le paie cher. Mais quand je regarde en arrière, je vois mal comment les choses auraient pu se passer autrement. Au collège, dès la 4e, on nous mettait la pression pour qu’on dise ce qu’on voulait faire. Il fallait qu’on soit orienté, c’était obligatoire. Moi, je n’avais aucune idée. La seule chose qui était claire, c’est que j’avais la tête à autre chose, que j’en avais marre de l’école. « 

Voilà le temps des galères, de petits boulots en petits boulots, Anthony enchaîne les CDD, de préférence dans la logistique et du transport. La logistique est un secteur d’avenir lui a-t-on dit, comme on a dit à Florence et après avoir obtenu un Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (CACES), les boites d’intérim lui proposent un poste de cariste puis de préparateur de commandes. Mais les conditions de travail sont pénibles. Il faut accepter la précarité des statuts sans parler de l’absence de soutien des collègues qui est très difficile à supporter.

 » La vraie différence entre le boulot de cariste et le boulot de préparateur de commandes, c’est les conditions de travail. Quand tu fais un travail de préparateur de commandes à pied, t’es soumis au chef qui est directement au dessus de toi. Il est presque toujours su ton dos. C’est plus facile pour lui de te contrôler. T’as plus de marge de manœuvre quand tu es cariste. Quand tu circules en chariot avec tes palettes, il y a d’abord souvent un espace plus grand. Là, le chef ne peut pas toujours être avec toi. Ça permet du coup de souffler de temps en temps, en dehors des pauses. « 

Évidemment, Anthony a du mal à garder le moral et à ne pas se décourager face aux arnaques et impasses de certains jobs.

 » Vers 2011, j’ai eu l’impression de tourner en rond. J’avais travaillé en CDD dans plus d’une quinzaine de boîtes en logistiques. Avec des hauts et des bas. Des hauts dans trois ou quatre entreprises où l’ambiance avait été bonne. Des bas quand les conditions de travail étaient vraiment trop dures, à cause du froid ou des charges à porter, où quand c’était le style disciplinaire. Sans parler de toutes les fois où mon CACES ne m’a servi à rien et où j’ai été simple préparateur de commandes, sans chariot à conduire. « 

A travers ce récit anonyme, c’est une nouvelle classe ouvrière que l’on découvre, travaillant ici dans le domaine de la grande distribution et des entrepôts. C’est aussi un témoignage authentique sur les jeunes sans diplôme et leur difficulté à s’ insérer dans le monde du travail.

Ce récit captivant est édité au Seuil dans la collection Raconter la vie. Plus qu’une simple collection, il s’agit véritablement d’un projet novateur porté par un Manifeste, Le parlement des invisibles de Pierre Rosanvallon.

 

Collection Raconter la vieEmpruntez Moi, Anthony ouvrier d'aujourd'hui à la Médiathèque de LevalloisEmpruntez Le parlement des invisble de P. Rosanvallon à la Médiathèque de Levallois

 

Lancée en janvier 2014 à l’initiative de ce dernier, cette nouvelle collection regroupe des chercheurs, des écrivains, des journalistes et des citoyens qui se font témoins de leur vie et de leur époque. C’est à la fois une série de livres et un site internet participatif, une communauté en ligne très active que vous pouvez vous aussi rejoindre dès à présent. Rassemblées, ces histoires dressent le portrait d’une société en crise mais non résignée. Un des enjeux pour Pierre Rosanvallon est de sortir de l’ombre « Les invisibles » à travers leurs témoignages et répondre ainsi aux besoins de voir les vies ordinaires racontées. C’est rendre visible et reconnu l’individu dans sa diversité et lutter ainsi contre une dérive démocratique de la société :

 » La démocratie est minée par le caractère inaudible de toutes les voix de faible ampleur[…]. Misères cachées, détresses insoupçonnées sont le résultat d’un manque de visibilité et d’un manque de reconnaissance des existences ordinaires. « 

Anthony, combattant optimiste, participe à cette aventure littéraire et citoyenne. En nous propulsant dans le monde des entrepôts d’usines et des supermarchés, il nous donne matière à réfléchir et nous fait lire ces vies que nous croisons chaque jour sans vraiment les voir. Un univers professionnel propice aux rencontres comme le promet le prochain épisode de Dans la peau de…

 

* Le taux d’emploi des 15-24 ans est de 30% en France. Plus de 24% des jeunes sont au chômage. Début 2013, près de 1,9 millions de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation. Ils représentent 17% de cette classe d’âge. Plus de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, soit 20%.

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